Projet IC05

Introduction à la controverse


Contexte général

Les néonicotinoïdes ont été créés en 1985 par deux géants de l’industrie phytosanitaire, Bayer et BASF. Leur utilisation en France a débuté dès 1991, avec l’autorisation de la mise sur le marché du Gaucho, un puissant insecticide contenant un néonicotinoïde. C'est une substance phytosanitaire qui a un mode d'action systémique, c'est-à-dire qu'elle enrobe la graine avant d'être semée et pénêtre ainsi dans les tissus végétaux, se distinguant des insecticides "par contact" et "translaminaires". De cette manière, les néonicotinoïdes permettent de lutter contre les insectes ravageurs en agissant sur leur système nerveux central toute l'année, et non pas seulement à leur saison d'action. Leur emploi prophylactique, c'est-à-dire prévenant la maladie et les potentiels dangers, permet donc une protection efficace des cultures.

Sept ans plus tard naît la controverse sur l’utilisation de ces néonicotinoïdes, avec la première manifestation d’apiculteurs à Paris en 1998. Cependant, il n’y a pas de consensus concernant les néonicotinoïdes au sein, premièrement, de la communauté agricole.

Deux visions s’y opposent sensiblement :

  • D'un côté, celle des betteraviers, qui souhaitent continuer à utiliser des produits à base de néonicotinoïdes afin de préserver leurs terres et leurs cultures. Selon eux, pour sauver leurs cultures, ils ont besoin des néonicotinoïdes. En effet, le Myzus persicae, un puceron vert, attaque les plants de betteraves, causant une épidémie de jaunisse. Afin de pouvoir conserver et sauver leurs plantations, les betteraviers utilisent des néonicotinoïdes. Ils estiment qu’ils perdraient la moitié de leurs récoltes sans l’utilisation de ce pesticide. L’argument principal des professionnels réside dans le fait qu’ils effectuent la récolte des betteraves avant la floraison de celles-ci. Ainsi, selon leurs dires, les pollinisateurs n’ont pas le temps d’être en contact avec ces néonicotinoïdes : un argument largement réfuté par les apiculteurs. 
  • De l'autre, celle des apiculteurs, qui se battent pour l’interdiction de ce produit qu’ils appellent le "tueur d’abeilles". Pour cela, ils s’appuient sur des études démontrant qu'utilisés en très faible dose, ces néonicotinoïdes viennent ralentir le processus d’apprentissage des pollinisateurs mais aussi altérer drastiquement leur sens d’orientation, les empêchant par exemple de retrouver le chemin vers leur ruche, ainsi que leur aptitude à se reproduire. Ces néonicotinoïdes sont également responsables de la hausse du taux de mortalité des abeilles en France (et partout dans le monde) depuis quelques années. De plus, les insecticides contenant des néonicotinoïdes attirent les pollinisateurs qui vont préférer butiner une plante contaminée plutôt qu’une plante saine. A cela s'ajoute également le fait que 90 % du pesticide à base de néonicotinoïde n’est pas absorbé par la plante et pénètre directement dans les sols où il y demeure pendant plusieurs années.

Ainsi, les néonicotinoïdes apparaissent comme étant un pharmakon, concept notamment développé par Bernard Stiegler. Basé sur les travaux de Jacques Derrida et de Platon, Stiegler définit le pharmakon comme étant à la fois le remède et le poison, sans pour autant être neutre. Ici, les néonicotinoïdes semblent être un remède pour les betteraviers et leurs cultures, alors qu’ils sont poison pour les apiculteurs et les pollinisateurs.

Cadrage de l'étude

La frise chronologique ci-dessus met en évidence l'accélération de la controverse au fil des années et au rythme des rapports scientifiques. On remarque que les néonicotinoïdes divisent encore aujourd'hui : un consensus dans le champ politique semble difficile à trouver. En effet, après une première interdiction de trois néonicotinoïdes en septembre 2018, le conseil constitutionnel a finalement voté la levée de cette interdiction fin 2020.

Nous avons donc décidé de concentrer notre étude sur ce "retour en arrière" pour les organisations environnementales et apiculteurs. Notre problématique sera donc la suivante :

Quelles réactions et interactions la loi d'octobre 2020 a-t-elle suscité de la part des différents acteurs et dans les différents lieux de débat ?

Nos méthodes de recherche et d'analyse

Pour pouvoir répondre à cette problématique, nous nous sommes tournés vers trois explorations différentes :
  1. Une analyse textuelle des commentaires de trois vidéos YouTube dédiées à la question des néonicotinoïdes ;
  2. L'étude d'un clivage de la société civile par aspiration de tweets ;
  3. L'aspiration des votes du scrutin n° 2940 de l'assemblée nationale sur "l'ensemble du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières".

Par la première approche, nous souhaitons comprendre comment s'articule le débat et ses arguments sur une plateforme de vidéos grand public. Il en ressortira une forme d'invisibilisation du débat. Cette dernière est liée au peu de contenu disponible, à la sélection des vidéos populaires dont le caractère militant influe sur les commentaires, et enfin au nombre important de trolls dans cet espace.

L'étude des échanges sur twitter, plateforme réputée plus "sérieuse" que YouTube, ambitionner également au départ d'observer un dissensus au sein de la société civile. Cependant, la majorité de la population de twitter a semblé s'opposer à l'utilisation des néonicotinoïdes. Nous avons donc décidé d'orienter cette deuxième aspiration sur de la chronologie des réactions, liée à la frise chronologique présente sur la page actuelle, et sur la répartition des acteurs de manière géographique et politique. Nous pourrons ainsi comparer la récente réaction qu'a suscitée la loi d'octobre 2020 aux anciennes en analysant leur fréquence de publication. Dans un dernier temps sur cette aspiration, nous effectuerons une analyse textuelle supplémentaire pour comparer les termes du débat dans différents espaces de discussion.

Enfin, après avoir cerné comment s'articulent les débats dans l'espace public, l'objectif est de comprendre de quelle manière la décision de réintroduire les néonicotinoïdes a été arbitrée au sein du conseil constitutionnel. Pour cela, nous allons aspirer les votes des membres afin d'observer les disparités et les oppositions entre et au-sein des partis.